dimanche 1 décembre 2024

Anglicismes et français québécois (2024i)

2024-11-01. À la suite de la publication de son Dictionnaire du chilleur, le linguiste Jérôme 50 confie à Josée Blanchette ses idées sur l’avenir du français parlé ici : « La survie du français au Québec ne passe pas par la peur; il faut plutôt convaincre les locuteurs de continuer à le parler, en être fier. Fier de sa diversité, de ses différences et de l’apport linguistique des communautés issues de l’immigration » (Le Devoir, 1er novembre, p. B8). Merveilleux! Mais les nombreuses expressions données en exemples par la chroniqueuse sont toutes inspirées de l’anglais : «overextend myself», «look out for number one», «crash and burn», «drag and drop», «je poke», «je calle les shots», «by the way», «backstab-tu?», «parler en thug», «je suis deadass», «full bad bitch», «no shame dans mon game», etc. Rien ne transparait de l’apport d’autres langues que l’anglais. L’argot français, africain ou antillais ne percole pas. Même le mot «argot» est exclu de la manchette (Chillax man, c’est juste du slang).

Think tank (2024)

2024-11-02. Gérard Bouchard écrit qu’il fut membre, pendant vingt ans, d’un «think tank» canadien (Le Devoir, 2-3 novembre, p. B14). Au Canada, il est sans doute logique qu’un tel groupe soit désigné d’une expression anglaise. Mais il y en a eu au Québec et il y en aura encore. Aussi faudrait-il s’habituer à la traduire. Le Grand Robert & Collins (2008) suggère au mot «Think tank , apparu au début des années 1960: « Groupe ou cellule de réflexion». Peter Weisman (Dictionnaire étymologique et critique des anglicismes; 2020) aligne : groupe, cercle, centre et institut (de réflexion). Un essayiste français, Alfred Gilder, propose en plus, afin de parvenir à remplacer l’expression : «aréopage», «pensoir», «comité d’experts» , «groupe de remue-méninges», «conversatoire», etc. (Les 300 plus belles fautes… à ne pas faire… ; 2019). Les solutions de rechange ne manquent donc pas.

 

Conférence : une association ? (2024)

2024-11-03. Nombre de locuteurs tiqueront en apercevant l’appellation Conférence (!) Saint-Malo-et-Saint-Joseph de la Société Saint-Vincent-de-Paul. La «Conférence», regroupement ou association, mène sa campagne de financement annuelle (Novembre 2024). Au sens premier, une conférence est une réunion de personnes qui discutent d’un sujet ou l’exposé qu’on y fait. Mais le mot a pris depuis un demi-siècle une acception nouvelle, celle de l’organisme dont font partie des personnes : Conférence des recteurs, Conférence des évêques… Des auteurs affirment que cette évolution viendrait de l’anglais (Jean Forest) ou de l’américain (Lionel Meney). Dans le domaine du sport, le Colpron propose que « Conférence Prince-de-Galles » soit désignée par « Association… ». J. Forest (Le Grand Glossaire…) conseille la même solution. Le glissement n’est pas dramatique. Toutefois, il faudra compter avec la double ou triple signification du mot.

Le dernier droit ! (2024)

2024-11-04. Les titreurs du Journal de Québec proposent deux manchettes synonymes, l’une qui semble inspirée de l’anglais et l’autre en français courant. La première se lit : «Dernier droit toujours bien intense : Donald Trump et Kamala ….» (4 octobre, p. 7) et la seconde en français correct : «Dernière ligne droite» (ibid., p. 42) à propos de la loterie d’un sanctuaire. Le dictionnaire québécois Usito note prudemment à l’égard de l’expression «dernier droit» : «L'emploi de dernier droit (de l'anglais ‘last straight’) est critiqué comme synonyme non standard de dernière étape, dernière ligne droite, dernière portion, dernier sprint, derniers moments, fin de parcours, sprint final, etc.». La consultation du dictionnaire numérique ne fait peut-être pas partie de la boîte à outils des titreurs. Soit! Mais le Multi dictionnaire, connu «universellement» en territoire laurentien, précise à l’article Droit, droite : Forme fautive : le dernier droit. Impropriété pour ‘la dernière ligne droite’». La note devrait être insérée dans le guide de rédaction du journal.

Déployer (!) un militaire (2024)

2024-11-05. On peut supposer que de nombreux abonnés du Soleil auront frissonné à la lecture du reportage de Patricia Rainville et en apprenant qu’un militaire avait été «déployé». Elle écrit : «Déployé trois fois à l’étranger, le militaire…» (4 novembre, 4 h). On l’aurait torturé! On n’oserait pas déployer un plombier, un pompier, un dépanneur ou une dépanneuse quelque part. On se contente de leur assigner une tâche. On peut cependant déployer des groupes, des équipes, des troupes, une armée. Le Trésor de la langue française propose, à l’article idoine, l’explication suivante : «L'objet est un groupe de personnes et plus particulièrement de soldats Déployer des fantassins; déployer une division, un bataillon». La dérive observée est rarement épinglée. Cependant, Usito donne les exemples suivants à l’article Déployer : «(en parlant d'un groupe de personnes) Déployer des soldats. Déployer des troupes. Déployer des médecins, des infirmières. Déployer des secouristes ». On n’ose pas déployer un soldat, un militaire.

Signature d'avis: Donné à (2024)

2024-11-06. L’Asulf, une association qui promeut la qualité de la langue – De Gaulle aurait dit : immense programme! -en territoire laurentien, fait régulièrement des interventions auprès des Administrations qui publient des avis ou des appels d’offres et qui les signent en utilisant la formule : «Donné à…». Montréal a emboité le pas au début de 2017 et depuis elle emploie «Fait à…». Certaines villes, de moins en moins nombreuses, continuent à se servir du calque. C’est le cas de Saint-Adolphe-d’Howard qui signe un appel d’offres «Donné à…» (Le Devoir, 4 novembre, p. B2). Jean Darbelnet de l’Université Laval fournit une explication : «L’usage est d’employer le mot ‘fait’ pour indiquer le lieu et la date où une pièce a été signée. ‘Signé’ ne s’emploie pas dans ce contexte, pas plus que ‘donné’, qui est un calque de l’anglais ‘given’» (Les Maux des mots; 1982). Les membres de l’Asulf espèrent que la Ville de Saint-Adolphe suive les brisées de ses ‘consoeurs’.

Étudiants internationaux ? (2024)

 2024-11-07. L’éditorial du Devoir porte en sur-titre «Étudiants étrangers» (8 novembre, p. A6). On fait appel huit fois à l’expression et on la remplace à trois reprises par «étudiants internationaux». Le traducteur André Racicot (blogue Au cœur du français) écrit à propos de cette dernière : «… ‘étudiants internationaux’ est une contamination de l’anglais qui, sous l’influence de la rectitude politique, a délaissé l’adjectif 'foreign', frappé d’un opprobre injustifié». Même l’Office de la langue française joue ce petit jeu : 'étranger' ne fait pas partie des termes privilégiés. On écrit : «Bien qu'il soit probablement utilisé sous l'influence de l'anglais […] le terme 'étudiant international' […] convient pour désigner ce concept. […] 'international' ne se rapporte pas à proprement parler à l'étudiant, mais plutôt au fait qu'il a traversé une frontière… ». En somme, un travailleur québécois qui s’installe au Mexique devient un travailleur international!

Fake news (2024)

 Mathieu Bock-Côté fait sept observations à la suite de la victoire de Donald Trump. La dernière est la suivante : «… les trumpistes en ont marre des donneurs de leçons […] qui relaient des fake news» (Le Journal de Québec, 8 novembre, p. 28). On pardonnera l’expression anglaise au chroniqueur étant donné que les donneurs de leçons sont étatsuniens, qu’ils l’ont inventée et popularisée. Mais si le Québec était le théâtre d’un même phénomène, il faudrait lui trouver un équivalent. Le chroniqueur n’en propose pas. Il tient sans doute pour acquis que l’expression et sa signification sont connues de tous. Par prudence, énumérons les solutions de rechange proposées par l’Académie française : «bobard, boniments, contre-vérité, infox, fausses informations, mensonge, ragot, trucage et même tromperie! Puis, il y a le vieux «fallace’ que l’Académie ignore dans sa liste. C’est dire que MBC aurait pu écrire : «… donneurs de leçons qui relaient des fallaces ou des ragots»!

Coach (2024)

2024-11-09. Certains mots anglais sont de vrais prédateurs. Ils peuvent décimer nombre d'équivalents français. On se sert de l’un d’eux dans un quotidien. On écrit à propos de Vanessa Davidson : «Cette ‘coach' accusée d’abus …» (Le J. de Qc, 9-10 nov., p. 29). Les répertoires correctifs québécois épinglent le mot anglais depuis un demi-siècle. C’est le cas du Dictionnaire correctif de Gaston Dulong publié en 1968. Mais on l’emploie aussi en France. Un critique français, Jean Maillet, y va à fond de train. Il écrit : «… ‘coach’ est repris en français au début des années 1930 alors qu’existait le mot ‘entraîneur’ […]. On sait le ravage lexical que ‘coach’ va progressivement opérer dans notre langage quotidien : il y élimine aussi conseiller, instructeur, moniteur, accompagnateur, tuteur, guide, mentor, précepteur, répétiteur, etc .» (100 anglicismes à ne plus jamais utiliser! 2016). La manchette, « Une monitrice accusée d’abus …», 2292 / n’aurait-elle pas été préférable?

Désinformation ? Désinformation ? (2024)

2024-11-10. Le linguiste Alain Rey a noté que le verbe «désinformer» signifie «priver d’informations» ou, tout au moins, d’en diminuer la dose. Le Petit Robert précise : «Informer de manière à cacher certains faits ou à les falsifier». Dans la réalité quotidienne, celle que l’on connait, la «désinformation» est présentée comme la multiplication d’infos inexactes, mensongères, truquées ou orientées de manière à confondre l’opinion publique. En somme, cette dernière description est fort différente du sens vrai du verbe «désinformer» et de son substantif. Donald Trump aurait, aux dires de madame Laure Waridel, colporté des mensonges : des migrants mangeraient du chien, les démocrates proposeraient des avortements tardifs (Le Journal de Québec, 9-10 novembre, p. 54). Ce faisant, Trump mésinformerait ou mal-informerait d’abord et avant tout, déraperait et déraillerait.

Les banlieues ? de Québec (2025)

2025-02-01. À la lecture de la manchette « Les banlieues disent non à Marchand sur les foyers » (1er février), les lecteurs du Soleil, s’ils...