lundi 1 janvier 2024

Les «big three»

2023-12-02. Guy Boivin, un professeur de la Faculté de médecine de l’Université Laval, première université de langue française en Amérique, regroupe trois virus, le Covid-19, l’influenza et le syncytial respiratoire. Il les désigne par l’expression «big three» (Le Soleil, 2 décembre, p. 11). On pourrait croire que voilà une expression technique nouvelle que le français ne peut nommer! Ou qu’il ne parviendra pas à nommer avant quelques années. Il est possible aussi qu’elle soit fixée de toute éternité par Dieu le père pour toutes les langues parlées sur Terre! Les Chinois, les Russes, les Arabes, les Latino-Américains, tous, quand il est question des trois virus devraient les regrouper sous le parapluie «Big three». Ces langues sont aussi pauvres que le français québécois ou que le français européen! Ce serait la rigolade si un universitaire de langue française prenait le risque de qualifier les trois virus de «Trois grands»! Et le Soleil aurait sans doute hésité à porter l’expression dans un intertitre!

QR Code

 QR2023-12-04. Un organisme français, Les Lignes bougent, écrit la manchette «Non aux QR codes…» dans une infolettre diffusée au petit matin (4 décembre). QR code signifie, tout le monde le sait! «quick response code». C’est de l’anglais. Il faudra bien un jour que les langues vivantes trouvent des expressions propres à chacune. Un traducteur ontarien vient de proposer des solutions en français. Je les énumère en rafale : code RR (code réponse rapide), code 2R (prononcé code deu-zerres), code QR (ou code qui répond). La revue Défense de la langue française explique les propositions (289, 3e trimestre 2023, p. 26). Les recommandations de l’auteur, François Verschaeve, sont beaucoup plus agréables à l’œil et à l’oreille que celles proposées par l’Office québécois de la langue (code-barres bidimensionnel, code à barres bidimensionnel, code-barres 2D et code à barres 2D.

Chez Fraisière...?

2023-12-05. On lit sous la plume de Chloé Pouliot : «Chez Fraisière Faucher …» (Le Soleil, 5 décembre 2023). Dirait-on «chez Épicerie Métro? ou «chez Quincaillerie Limouloise? La préposition «ne se dit qu’en parlant de personnes et, par extension, d’êtres animés ou d’êtres personnifiés» selon l’Académie française (Dire, ne pas dire; 2020) et les spécialistes québécois. Le Multi dictionnaire précise : «On emploie normalement ‘chez’ devant un nom de profession, un paronyme et ‘à’ devant un nom de lieu, de chose». Et le Français au bureau précise : «La préposition […] s’emploie devant un prénom ou une appellation de personne, mais pas devant un nom de lieu ni d’établissement». Bref, il aurait été plus correct d’écrire : «À la Fraisière Faucher…».

«Fucking» champion!

2023-12-06. On peut être impressionné et fier de Marc-Antoine Dequoy, le maraudeur des Alouettes, et de son militantisme face au monopole de l’anglais dans le monde du football canadien. Il n’en reste pas moins que nous en portons tous des séquelles et que souvent nous les montrons involontairement. Le Devoir (6 décembre, p. B6) reproduit un extrait des paroles du maraudeur: «Gardez-le votre anglais […] on est ‘fucking’ champions». En toute logique, un défenseur aussi radical du français aurait dû se servir d’équivalents transparents de sa langue et de la nôtre. Peut-être : «… on est les meilleurs! Putain! » ou « on est les putains de gagnants! … les putains de champions! ». L’autarcie n’est pas recommandée en matière de langue, mais inviter quelqu’un à garder sa langue suppose qu’on empruntera ses mots!

Plaza

2023-12-07. La folie des bulles touche Cap-Rouge! On lit dans le Soleil (diffusé à 6 h 2 le 6 décembre) ) : «Les bulles se retrouvent [...] un peu partout […] grâce à +86 Gaufrerie, installée depuis peu au Plaza Provancher…». Le mot «plaza» serait un espagnolisme, mais il nous est imposé par les États-Unis. Le journal aurait dû écrire «à» Plaza… Chose cocasse, les dictionnaires ni les répertoires correctifs ne l’épinglent. On ne le voit pas non plus dans les dictionnaires d’usage du français. On le trouve, cela va de soi, dans les usuels espagnols et dans ceux de langue anglaise. Dans le Grand Robert & Collins par exemple, lequel le traduit par «place», «grand-place», «aire de service» ou «poste de péage» d’autoroute. À Cap-Rouge, le mot désigne un centre commercial. Peut-on penser que l’origine «latine» du mot le rende plus sympathique aux Québécois que «Centre d’achats» ou «shopping center»?

Raisons sociales: Mr. Puffs

2023-12-08. Un message publicitaire m'est livré sous la forme d'une carte postale et sans doute par la poste (7 décembre 2023). Curieux de savoir ce que signifiait le mot «puffs» pour vos succursales, j'ai consulté un dictionnaire. On dit que c'est un emprunt direct à l'anglais et qu'il signifie, entre autres choses, bouffée, bouffée de cigarette, taffe ou touche. Lié qu'il est à l'abréviation anglaise «Mr.», il est évident que la raison sociale est de langue anglaise pour une entreprise dont le siège social est à Montréal. L'oubli du français à ce niveau-là me semble illustrer la faiblesse du français au Canada et particulièrement au Québec. Que vous en semble-t-il? (Note transmise à Mr. Puffs par l'intermédiaire de son site internet).

Dr et Dre: faut-il un article?

2023-12-09.  Les Résidences funéraires Steve Elkas. Vous publiez la chronique nécrologique du docteur Margerie dans le Devoir du jour (9 décembre, p. B8 ). Vous avez tout à fait raison d’écrire «Dr Jean de Margerie 1927-2023» sous la photo du médecin. Mais dans une phrase, il en va autrement. Ainsi, au tout début, il aurait fallu écrire «Entouré de sa famille [...] est décédé le Dr Jean de Margerie». Dans le corps d’une phrase, l’article est de règle. Il en va de même au troisième paragraphe où on aurait dû lire : «Né au Saskatchewan, le Dr Jean de Margerie...».Le Français au bureau (2014) de l’Office de la langue donne l’exemple «À éviter : J’ai vu docteur (ou Dr) Gagnon; À retenir : J’ai vu le docteur (ou le Dr) Gagnon» (p. 181).Le professeur Lionel Meney précise dans son Dictionnaire québécois-français (1999) : «calque de l’angl.; en français standard, le mot ‘docteur’ employé en toutes lettres ou en abrégé dans une phrase complète, est précédé d’un article».

Sortie seulement ?

 2023-12-10. On voit à l’occasion l’affiche «Sortie seulement» sur des portes. J’étais dans une fruiterie, je venais de passer à la caisse. À cinq pas de la porte (de sortie), je vois l’affiche «Sortie seulement». Pourquoi «seulement»? La seule chose désirée est de sortir et non d'entrer. Il est évident qu’il faut utiliser la sortie: on est à l’intérieur. L’affiche devrait « interpeler » les chalands qui arrivent et non ceux qui ont déjà fait leurs emplettes. L’affiche devrait être de l’autre côté, pour ceux qui arrivent (Sortie seulement = défense d’entrer par cette porte). Il est normal que ces derniers voient «sortie seulement» par opposition à l’autre porte qu’on pourra identifier par «Entrée», sans plus. Les mots «Entrée» et «Sortie» suffisent en français dans la majorité des cas. Reste que les pratiques américaines influencent le milieu.

Prix régulier?

2023-12-11. Reflets, la revue de l’Association ... des retraité(e)s des secteurs public…, datée de décembre 2023, vient d’être acheminée à ses membres. Ses éditeurs y apparaissent indifférents à la grammaire française ou à ses annexes. Retenons l’exemple de l’anglicisme «régulier» pris au sens de «courant», «affiché» appliqué à des prix ou à des tarifs et employé une dizaine de fois dans les petites annonces (p. 55-58). Si l’on consulte le Multi dictionnaire, usuel presque marqué du sceau de l’Office de la langue, on lira à l’entrée «Régulier» : Prix régulier. Anglicisme pour ‘prix courant’». La Bangue de dépannage, le répertoire correctif de l’État observe : «Pour désigner le prix habituellement assigné à une marchandise, par opposition à un prix de solde, les expressions prix de liste et prix régulier sont déconseillées.» C’est dire que les retraités et les entreprises publicisées donnent un très mauvais exemple aux petits-fils et petites-filles qui sont déjà la garde montante.

 

Vélo cité

 2023-12-12. Le mot «cité» est à la fois une forme fautive, un archaïsme et un anglicisme lorsqu’on lui donne le sens de «ville». Québec, la Ville, annonce la réalisation de corridors «Vélo cité» (Le Soleil, 12 décembre). L’expression franglaise (ordre des mots propre à l’anglais, sens anglais de cité) peut ici révéler le mot français «vélocité» (grande vitesse, rapidité). Gardons-le en mémoire. On lit dans le Soleil : «…Inspirées de projets semblables observées à Grenoble, Paris et Londres — ainsi que du Réseau express vélo (REV) de Montréal —, les corridors Vélo cité misent sur des ‘voies sécurisées’». En somme, la Ville laisse croire que les villes sœurs désignent leurs réseaux par les expressions «corridors Vélo cité». Pourtant, à Grenoble et à Paris, on se contente des expressions classiques « itinéraires cyclables », «pistes cyclables», «réseau cyclable». Le raccourci est exagéré. Les anglicismes se reproduisent facilement en sol québécois.

Via

 

2023-12-13. Des abonnés au Soleil numérique ont sans doute réagi en lisant le sous-titre : «Quelque 7000 jeunes accompagnés et sensibilisés via quatre organismes…» de l’article «Fonds d’investissement en santé mentale…». La préposition «via» s’emploie en français avec un nom de lieu. En anglais, on va au-delà des toponymes. Ce qui fait dire à Guy Bertrand : «Via devient un anglicisme quand on lui donne un sens instrumental» (400 chroniques linguistiques, 1999). L’O.L.F., cinq ans plus tôt, offrit même un passage littéraire sur le sujet : «Vouloir voir via ici et là, sans vérification ni vergogne, c’est en quelque sorte valoriser, voire vénérer, aveuglément et en vain, le vocabulaire vernaculaire de nos valeureux voisins, en violant le nôtre» (Recueil de chroniques linguistiques, 1994). On ne peut mieux! En passant, Chouinard (2007), Roux (2004) et la Presse canadienne (2006) ont également mis en garde les médias sur le sujet.

Etc.

2023-12-14. De nombreux invités des stations de radio et de télé sont très rapide sur la détente et ils lancent des «et cetera» beaucoup trop rapidement. Deux exemples fictifs : «J’ai vu le voleur, etc., prendre la fuite» ou, encore, «Je me suis arrêté à la fruiterie et j’ai acheté des pommes, etc.». Le Multi dictionnaire indique de manière neutre : «Expression indiquant qu’une énumération n’est pas exhaustive». Guy Bertrand est beaucoup plus directif : «… on doit toujours faire précéder l’abréviation ‘etc.’ d’au moins deux exemples : Il faut éviter de dire , par exemple, cette machine peut composter des pelures de légumes , etc.» (400 capsules linguistiques, vol. 2 (2010). Une troisième observation, celle-là, du praticien de la langue qu’est Jean-Pierre Colignon : «’Etc.’ est employé pour abréger une énumération […] C’est donc une impropriété que de l’employer derrière … un unique terme» (Dictionnaire orthotypographique moderne (c2016).

 

Chemise carreauté !

2023-12-15. L’adjoint gouvernemental Vincent Caron parle de «veste carreautée» (Le Soleil, 15 décembre). Le Soleil ne manque pas, sous une forme modifiée, de porter l’expression en manchette : « 5 M$ pour vendre plus que la chemise carreautée…». Un petit détour par le Multi dictionnaire aurait mis la puce à l’oreille des collaborateurs du Soleil : «Carreauté. Impropriété pour ‘à carreaux'». On n’y donne pas de précisions. Gérard Dagenais explique de son côté : «L’adjectif […] employé au Canada au lieu de l’expression ‘à carreaux’ est patois» et, quelques lignes plus loin, il ajoute : «…. formé directement à partir de ‘carreau’, n’est pas régulièrement constitué» (Dictionnaire des difficultés…; 1967). Le mot, qualifié de régionalisme, se trouve dans le Robert. Les yeux ouverts, on peut s’en servir.

Une rondelle ?

2023-12-15. Le temps est peut-être venu d’enrichir le vocabulaire du hockey et d’importer un mot français inconnu en sol québécoise : le mot «palet». On lit dans le Courrier du soir du Devoir la manchette : «Un garçon de 11 ans est décédé après avoir été atteint par une rondelle….» (15 décembre, 19 h 12). La traduction du mot anglais «puck» a sans doute été fait dans la précipitation. Le mot «rondelle» était en chômage. Les Québécois disaient «washeur». Le mot anglais était «washer». Victor Barbeau n’a pas relevé l’équivalent «rondelle» après 1940. L.A. Belisle l’inscrit dans son dictionnaire publié en 1979 . La question se pose : pourquoi a-t-on ignoré le mot «palet»? Bélisle ne l’a pas retenu. Et le Multi dictionnaire ignore sa proximité avec les «rondelles» ou les «disques» de nos hockeyeurs. Passer à «palet» permettrait de libérer «rondelle» et de lui faire remplacer le mot anglais «washer».

 

Tournures: Frapper un mur

2023-12-16. Les médias, rédacteurs, journalistes et animateurs devraient appuyer leur façon de parler et d’écrire sur des usuels correctifs. Qu’on écrive à propos des détaillants de bière qu’ils «frappent à présent un mur». (Le Soleil, 16 décembre) est critiquable. On imagine les marchands frappant un mur à coups de poings. Et d’autres commerçants «frapper des nœuds»! Le verbe est un bon producteur d’anglicismes. Jean Forest en aligne une quinzaine dans le Grand Glossaire des anglicismes (2008). Usito remarque prudemment « L’emploi de l'expression ‘frapper un mur’ est parfois critiqué comme synonyme non standard de ‘se heurter à un mur’». Lionel Meney écrit dans son blogue en date du 26 août 2021: « … probablement un anglicisme de sens dans la mesure où le verbe ‘frapper ‘ en français québécois est fortement influencé par le verbe ‘to hit » anglais». Bref, installons un feu clignotant !

État ou état ?

2023-12-17.  «… l’anglais fait un usage plus libéral de la majuscule…. (que le français) […] Mais ce qui est vraiment remarquable du point de vue francophone, c’est qu’il n’y a qu’un seul contre-exemple, c’est-à-dire un seul nom anglais ne comportant pas de majuscule alors qu’il y en a une dans sa traduction française : c’est le mot ‘state’. En effet, ‘État’ s’écrit obligatoirement avec une majuscule, non pas lorsqu’il a le sens général de ‘manière d’être […], mais celui plus spécifique ‘d’autorité politique souveraine d’un pays’ comme ‘l’État mexicain’….» (Jean Max Thomson, La Clé anglaise; Points, 5985; 2023). Thomson néglige les entités politiques, dont le Québec et les États de la République américaine, du Maine à la Louisiane.

Le «joual» est-il nécessaire?

2023-12-18. Il est dramatique que des enfants soient agressés sexuellement par leurs parents. Mais faut-il reproduire le langage maculé des victimes? Les Infos à la source de Québecormédia en présente deux (18 décembre, 17 h 15). On reproduit fidèlement des extraits de leurs témoignages : «J’en ai souffert une shot», chez les Lacroix «c’était tough», «explosif à la job», «t’est fucké». Le premier extrait est tiré du dix-septième paragraphe et il est porté en manchette. L’infolettre, publiée en français pour des francophones, ne propose pas de solutions de rechange. Ce faisant, on laisse les victimes se dépatouiller face à l’agression et face aussi aux tournures des contextes. Pourtant, on contribuerait à les éloigner mentalement de tels aléas de la vie en leur proposant de nouvelles expressions, un langage redressé : «J’ai beaucoup souffert», chez les Lacroix «on était des durs à cuire», «susceptible au travail», «t’est foutu».

Toponyme: Cap-Diamant

2021.12.19. L’historien Pierre-Olivier Maheux consacre un court article aux ponts de glace du passé entre Québec et Lévis (Le Devoir, 19 décembre, p. A7). Il rappelle l’existence des «caboulots», débits de boisson de piètre qualité, et surtout du faux toponyme «Cap Diamant». Présenté ainsi, le cap semble avoir été baptisé pour honorer une personnalité nommé Diamant. L’appellation surnage encore à l’occasion, mais une note du service de toponymie de la capitale à propos d’une avenue devrait suffire à corriger l’erreur de départ: « L'avenue du Cap-aux-Diamants s'appelait autrefois avenue du Cap-Diamant. Cette dénomination a été changée parce que l'appellation Cap-Diamant est considérée par les historiens et les linguistes comme une traduction littérale de Cape Diamond, elle-même traduction de la dénomination française d'origine ‘ Cap-aux-Diamants’». Au cours des ans, on est donc passé d’un toponyme exemplaire (Cap-aux-Diamants) à une traduction correcte (Cape Diamond) puis à une traduction littérale franglaise (Cap Diamant)!

Enjeu !

 2023.12-19. Le Devoir propose à ses lecteurs une manchette discutable : « Cinq dossiers qui soulèvent des enjeux de protection...» (Le Devoir, 19 décembre, B5). Des enjeux! Le Multi met en garde: « Ne pas confondre avec les noms suivants : défi […] objectif […] problème […] problématique… ». Le dictionnaire québécois Usito note « L’emploi de ‘enjeu’ est parfois critiqué comme synonyme non standard de préoccupation majeure, défi, problème ». Un chroniqueur français écrit : «On disait autrefois […] que ‘la prééminence en Europe avait été l’enjeu des guerres de l’Empire’. […] Maintenant, il est question des enjeux de la littérature, de la peinture, de la philosophie, de la poésie… On est comme invité à supposer des mises et des intérêts partout » (Pierre Bénard, Petit manuel du français maltraité; 2002). Bref, n’aurait-on pas mieux fait d’écrire : «…des problèmes de…» ?

En Saskatchewan ?

2024.04.22. Les lecteurs du Journal de Québec auront lu, sous la plume d’Antoine Robitaille, le passage suivant «… l’enseignement du françai...