dimanche 5 janvier 2025

Événement (2024)

2024-12-01. L’annulation de la rencontre de la coupe du monde de ski alpin de Mont-Tremblant est l’occasion de revenir sur le mot «événement» employé tant par la journaliste de Radio-Canada (nouvelles de 8 h, 1er décembre) et par le directeur de l’entreprise. De plus, un bandeau à la télévision annonçait «Directeur de l’événement». Normalement, on n’organise pas un événement. Il arrive de lui-même, de manière fortuite et inattendue. L’académicien Jean-Luc Marion écrit : «L’évènement a en propre d’advenir sans avoir été ‘pré’-vu. Il n’a demandé aucune permission pour surgir. Il s’impose d’un coup, sortant de nulle part (de nulle prévision)» (Flâneries au pays des mots; 2022). On constate, il est vrai, un glissement de sens. Organise-t-on un concours, un spectacle, une conférence, un match de hockey? Manipulé ou torturé, le mot magique, événement, peut-tout remplacer! Pourquoi se mettre martel en tête?

 

Décéder ou Mourir ? (2024)

2024-12-01. Le verbe «décéder» est au départ un léger euphémisme. Il vient du latin ‘desedere’, c’est-à-dire «sortir, s’en aller, se retirer». Le substantif «décès» en porte certainement la marque. Verbe et substantif s’appliquent à des humains et non à des animaux. De plus, le verbe est réservé aux morts naturelles. Ainsi dira-t-on d’un automobiliste qui se tue après avoir percuté un poids lourd qu’il est mort dans l’accident. Dès lors, l’extrait : «Le décès d’une femme de 32 ans dans un violent braquage …», relevée dans le Soleil du 1er décembre, constitue-t-il une atténuation de la réalité. Le grammairien Jean Darbelnet écrit à propos du verbe «décéder» : «… appartient à la langue administrative et ne se dit pas d’une mort violente ou accidentelle (Dictionnaire des particularités de l’usage). Mutatis mutandis, la remarque doit s’appliquer au substantif.

Un modérateur ! Vraiment? (2024)

2024-12-02. Le Conseil des relations internationales de Montréal organise un colloque dont l’accroche est «Quel avenir pour Montréal comme métropole culturelle?» (Le Devoir, 2 décembre, p. A5). On indique dans le placard publicitaire que le «modérateur» en sera Mathieu Bouchard. Si on prend le mot à la lettre, c’est dire qu’on s’attend à des débats houleux. Et le dit modérateur devra tâcher d’«éviter les arrosages publicitaires et les bombardements ainsi que les propos qui pourraient constituer des infractions pénales» (Défense de la langue française, 1er trimestre 2006). Dans les faits, le «modérateur» est habituellement le président de la rencontre, l’animateur, le présentateur... Il y a là un contresens apparent . De plus, le mot est un emprunt direct à l’anglais, lequel signifie entre autre «qui tempère des opinions exaltées» (J.P. Colignon, La cote des mots; 1994). Camil Chouinard, ex-conseiller de Radio-Canada, note que le substantif est employé en francophonie tout en proposant les synonymes «animateur» et «animatrices».

 

Lorsque requis... (2024)

2024-12-03. Les Québécois lient souvent la conjonction «lorsque» à des participes passés ou à des adjectifs. Lionel Meney en relève une dizaine d’exemples : lorsque allumé, lorsqu’interrogé, lorsque perché, etc. (Dictionnaire québécois-français; 1999). Il note également ces tournures dans un essai plus récent (Le français québécois entre réalité et idéologie…; 2017). Il y épingle «lorsque requis» dont on retrouve un exemple dans le Devoir. La collaboratrice M. H. Poitras écrit : «Les lettres […) sont traduites lorsque nécessaire» (3 décembre, p. B8). L. Meney garde la trace de l'expression : «’lorsque requis’ (‘when required’) au lieu de : lorsque c’est requis, lorsque c’est nécessaire, en cas de besoin » (Le français québécois…). La facilité et la brièveté du calque (lorsque requis c. lorsque c’est requis) expliquent de telles tournures à l’allure franglaise.

 

Dr Caux ou le Dr Caux? (2024)

 2024-12-04. Y a-t-il des règles de pratique à respecter lorsqu’on doit parler d’un médecin et de son titre «Docteur» ou «Docteure» et des abréviations «Dr» ou «Dre»? Une chronique nécrologique du Soleil porte la manchette «Caux, Dr Jean Norbert» et présente en première phrase : «Au CHUL […] est décédé Dr Jean-Norbert Caux…» (5 décembre, p. 61). La manchette est impeccable. Le titre n’y exige pas de déterminant. Il en va autrement dans la phrase. Il aurait fallu écrire : «… est décédé le Dr Jean-Norbert…». Le Multi dictionnaire précise «Si l’on ne s’adresse pas à la personne, le titre est précédé du déterminant défini…» et on y trouve l’exemple : «Vous avez rendez-vous avec le Dr de Villers-Sidani». Par ailleurs, la règle a été rappelée une première fois aux entreprises de pompes funèbres à l’automne 2023 dans un bulletin trimestriel («asulf.org/2023/12/13/lexpression-juste-decembre-2023/).

Top Gun (2024)

 2024-12-05. L’Office québécois de la langue devrait envisager d’accorder une mention exceptionnelle au ministre de la Santé : il a réussi à populariser l’expression «top gun»! Il avait d’abord annoncé en 2023 qu’il recherchait une perle rare, un ou une gestionnaire d’élite, peut-être la meilleure «gâchette» qui soit! Malheureusement, ces expressions ne correspondaient pas tout à fait aux candidatures souhaitées. Il a pensé à «top gun». La personne choisie vient d’entrer en fonction (Le Soleil, 1er décembre). Qu’inscrira-t-on à la porte de son bureau et sur les tableaux de Santé Québec? P.D.G. ou Top gun? Cette dernière expression est absente des répertoires établis par Lionel Meney (1999), par Jean Forest (2008), par M.É. de Villers (2021) et même par Usito (consultable à distance). Il y a un effort de rattrapage à faire afin que les usuels correctifs l’enregistrent et proposent des équivalents français. Cela ne devrait pas nuire à la mention de reconnaissance proposée.

Majusculite (2024)

2024-12-06. La CAA (Canadian Automobile Association) Québec fait de louables efforts pour présenter ses messages publicitaires en français. On pourrait même croire qu'elle exagère! L'association achemine à ses clients (6 décembre, 10 h 36) un courriel. On y lit d’abord : «Kit D'urgence Pour Vous!». Et puis l'accroche suivante: «Nous Apprécions Vos Commentaires! ». Les deux extraits contiennent huit majuscules fidèlement reproduites. C’est dire qu’il y en a six de trop... en français. La multiplication pourrait être volontaire : les publicitaires croient peut-être que les majuscules sont attrayantes et rentables. Mais peut-être sont-ils influencés par les habitudes de leurs collègues nord-américains, lesquels lésinent moins en matière de majuscules que les francophones. En somme, l’association devrait, à la prochaine occasion, soumettre ses messages à un spécialiste francophone. Note (7 décembre): le texte critiqué est un texte trafiqué. Merci à la CAA de sa mise au point.

Frapper (!) un arbre (2024)

2024-12-07. Le chroniqueur Rodger Brulotte ou le titreur du Journal de Québec font dire à Éric Boyer : «J’ai frappé un arbre et l’arbre a gagné» (7-8 décembre, p. 34). Il faisait du ski à ce moment-là. Dans l’article, le chroniqueur affirme «Tu as frappé un arbre …». Il reste possible, en principe, que le skieur ait frappé l’arbre avec un de ses bâtons ou avec un bout de bois trouvé sur place. Mais le contexte indique plutôt qu’il a heurté ou percuté un arbre. Un sportif n’a pas à se rappeler les notes correctives faites sur le sujet. Par exemple, celle de Paul Roux : « L’anglais emploie un seul verbe (hit) là où le français en utilise plusieurs. On peut ‘frapper une personne de son poing, mais on la ‘heurte’, on la ‘renverse’ avec un véhicule». En clair, on peut frapper un arbre avec ses poings ou avec des outils. Mais lorsqu’on dérape en ski et qu’on ne peut éviter un arbre, on n’a ni le temps ni le loisir de le frapper!

Un penthouse (2024)

 2024-12-08. À monsieur Martin Jolicoeur. «Lise Watier vend son penthouse ….» (Le Journal de Québec, 7-8 décembre, p. 67). C’est la manchette de l’article. Vous utilisez un synonyme au début de votre texte : appartement-terrasse. Le mot anglais exerce un monopole de fait. L’équivalent proposé par les dictionnaires courants ne sont pas d’utilisation facile dans une manchette que ce soit «appartement-terrasse» ou «appartement à terrasse». Il existe cependant une solution de rechange que les spécialistes devraient garder dans leur lexique personnel : «un attique». Michèle Lenoble-Pinson, une linguiste belge, écrit sur le sujet : «… depuis le XVIIe siècle, l’étage placé au sommet d’une construction et bâti avec des proportions moindres que l’étage inférieur s’appelle ‘étage attique’ ou, par ellipse, ‘attique’» (Anglicismes et substituts français; 1991). Le mot trouverait facilement sa place en manchette et dans un reportage. Et, en contexte, les lecteurs le comprendraient illico.

Frapper (?) une voiture (2024)

2024-12-09. Les férus de bon usage consultent sans doute encore un petit répertoire de Jean Darbelnet, le Dictionnaire des particularités de l’usage (1986). Il s’y trouve une observation lapidaire à l’article consacré au mot Heurter : «Une voiture ‘heurte’, ou ‘entre en collision avec une autre voiture. Elle ne la frappe pas». Par ailleurs, on lit à Frapper : «Certains emplois de ce verbe sont particuliers à l’usage québécois. Par exemple, […] ‘frapper une auto’ […]. En français général, on dit … ‘heurter une auto’…». L’observation n’a pas convaincu les médias. On lit dans le Journal de Québec : «… le chauffeur sous l’influence de l’alcool a frappé une voiture…» (9 décembre, p. 😎. De fait, les usuels français ne notent pas un tel emploi en Europe. Ici, le défi ne serait-il pas de choisir le bon équivalent du verbe anglais?

Un événement ? (2024)

2024-12-10. On traîne le mot «événement» dans la boue! Ou presque. On l’assimile à un fait divers, à un incident. Un chauffeur de bus heurte à peine une voiture, laquelle percute la voiture garée devant. La journaliste écrit coup sur coup : «… aucun blessé lors de l’événement», «Le RTC n’a pas tardé à condamner cet événement» et «… il s’agissait d’un événement isolé» (Le J. de Qc, 9 décembre, p. 😎. Il est possible que les mots connaissent aussi l’inflation et une perte de sens. Autrefois, un événement était un fait marquant : la victoire d’un parti lors d’élections générales, une déflagration, l’assassinat d’une ou d’un politique, un tremblement de terre, la mort d’un notable, etc. Somme toute, un fait que l’histoire retient. On est loin de l’autobus qui pousse légèrement une voiture, laquelle heurte l’arrière d’une autre garée devant elle. Tout au plus : un incident! Mais l’inflation a enlevé toute valeur au mot.

Des performances... (2024)

2024-12-11. À l’occasion de Noël, la Bibliothèque de Québec organise des activités à Gabrielle-Roy. Le placard publicitaire publié dans le Journal de Québec (11 décembre, p. 20) annonce des ateliers créatifs et culinaires, des chorales, mais aussi des « performances (!) musicales ». Les rédacteurs ne sont pas méfiés de la chausse-trape que constitue le mot «performance». En français standard, il signifie: exploit, succès et bon résultat dans une épreuve. Quand on lui force la main et qu’on lui fait prendre le sens de spectacle, de concert, de prestation, etc., on en fait un anglicisme. On trouve à l’entrée qui lui est consacrée dans le Petit dictionnaire des québécismes (F. D’Apollonia) ce premier commentaire : « … anglicisme 1. La performance de Ben Kingsley dans le rôle-titre de Gandhi’. [...] Exécution, interprétation, jeu, prestation, représentation (musique, spectacle, sport, théâtre).» À la première occasion, il faudra remplacer l’anglicisme par un mot approprié ou, au moins, éviter le traquenard à l’avenir. .

 

Tournures: Se payer la traite (2024)

2024-12-12. Si un grammairien confirme la présence de l’expression «se payer la traite » dans des usuels tels Dictionnaire des difficultés de la langue française, Dictionnaire correctif du français ou Grand dictionnaire des anglicismes… , il en laissera entrevoir la piètre qualité. Si on le repère dans un dictionnaire d’usage par contre, ce sera la confirmation de son emploi. Retenons une manchette : «Les abuseurs d’enfants peuvent se payer la traite…» (Le J. de Qc, 12 déc. 2024, p. 17). Qu’en dit le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui ? «’Se payer la traite’, se gâter, se faire plaisir…». On y note que le substantif est un anglicisme du registre familier. Point. Si on consulte un dictionnaire à l’esprit correctif, on pourra lire telle chose que «Traite…. Se payer la traite : […] calque de l’angl. «to treat oneself». Et des solutions de rechange : se gâter, s’en permettre, se régaler. Le phénomène n’est pas plus acceptable, mais c’est dit en français.

Un don historique ? (2024)

2024-12-13. On a beau apprécier la générosité de Québecor envers la Fondation CHU de Québec, il est difficile d’entériner l’accroche de la page publicitaire du Journal de Québec : « La Fondation… reçoit un don historique… » (11 décembre, p. 21). On veut bien que le don de 10 M$ soit exceptionnel, extraordinaire, remarquable, inattendu, sans précédent, au-delà de toute attente, etc. Il n’est pas encore historique. L’Académie observe la tendance à utiliser l’impropriété. L’Asulf la dénonce aussi (www.asulf.org). Une traductrice des Nations unies, Myriam de Beaulieu, précise de son côté : « Ce qui est historique, c’est l’Histoire qui nous le dira […]. Un accord passé aujourd’hui, ne devient pas automatiquement historique ». Idem d’un important don. Le glissement de sens est récent et les recueils correctifs n’ont pas encore hissé un drapeau rouge, mais cela viendra sans doute.

Les banlieues ? de Québec (2025)

2025-02-01. À la lecture de la manchette « Les banlieues disent non à Marchand sur les foyers » (1er février), les lecteurs du Soleil, s’ils...