mercredi 2 avril 2025

Historique ? (2025)

2025.03.01. On a tendance à qualifier d’historique bien des faits qui ne le seront que dans quelques décennies. Le traducteur André Racicot écrit sur son blogue : «Il fait chaud : nous avons une canicule historique; une rencontre entre deux leaders devient vite historique; un sommet entre deux pays aussi; la saison misérable des Canadiens est historique tout comme, tenez-vous bien, l’élection d’une députée […] . Pensez-vous vraiment qu’on va en parler dans dix, quinze, vingt ans? » Maintenant, voici l’accroche d’une page publicitaire : «Québécor offre son soutien au Carrefour [….] un don historique de 20 M$» (J. de Qc, 1-2 mars, p. 24). Il aurait sans doute été plus juste d’écrire : un important don, un don exceptionnel, un don inégalé …

Nominé, proposé, présélectionné (2025)

2025.03.02. Un correspondant a des réticences à utiliser l’anglicisme «nominé», fruit du lapsus à succès de Romy Schneider. La comédienne cherchait à traduire dare-dare le mot anglais «nominee’ et, n’y parvenant pas, elle répéta «nominé» en 1980, comme l’avait fait Simone Signoret précédemment. L’anglicisme s’est répandu. Mais les équivalents ne manquent pas : les sélectionnés ou les sélectionnés pour le prix, les proposés ou les désignés, les candidats proposés, etc. Alfred Gilder (En vrai français dans le texte; 1999) a même aligné des expressions en usage : candidats agréés, choisis, désignés, couronnés, étoilés … La bataille entre «nominé» et «proposé» ou «présélectionné»… ne justifie pas une guerre de tranchée. Va cependant pour la discussion et l’expression des points de vue!

 

Snowbirds (2025)

2025.03.03. Les villégiateurs québécois qui avaient l’habitude de s’installer pour les mois d’hiver dans le sud des États-Unis étaient et sont toujours désignés de l’expression «snowbirds». Le Journal de Québec et la journaliste Élisa Cloutier font part à leurs lecteurs du fait que des Québécois migrent vers le Mexique ( «Des snowbirds se tournent de plus en plus vers le Mexique», 3 mars, p. 7). On s’expliquait que les Étatsuniens baptisent les résidents laurentiens du mot anglais et que les médias d’ici le publicisent et l’imposent par la force des choses. Si bien que les hivernants se l’appliquèrent. Mais que sera l’attitude et la réaction des Mexicains? Se contenteront-ils de l’américanisme «snowbirds» pour désigner nos nationaux et pour éviter le péjoratif «tabarnacos»? Ou adopteront-ils un mexicanisme, comme « pájaros de nieve»? que nos médias seraient heureux de nous proposer comme ce fut le cas de l’américanisme!

Papier de toilette (2025)

2025.03.04. « Les Américains manqueront-ils bientôt de papier toilette?» Telle est une manchette du Devoir (3 mars, p. B3). Quelle serait l’expression à privilégier parmi celles qui suivent : papier toilette, papier de toilette ou papier hygiénique? Le journaliste emploie «papier toilette» à sept occasions. Il ignore l’anglicisme habituel «papier de toilette» et utilise trois fois l’expression «papier hygiénique», recommandée par les auteurs de recueils un tant soit peu correctifs. Le plus amusant est le fait qu’il néglige l’anglicisme courant qu’on ne manque pas d’épingler en sol québécois, «papier de toilette» (Barbeau en 1939, Bélisle en 1979, Bélanger en 1992), et qu’il en propose un nouveau : «papier toilette», présent dans le Nouveau Petit Robert, mais enrichi d’un trait d’union. Il est à espérer que, dans les reportages à venir, «papier hygiénique» prendra la position de tête!

 

En temps supplémentaire (2025)

2025.03.06. Le profane qui lit la manchette : «8,46 millions $ en temps supplémentaire…» (Le Journal de Québec, 6 mars, p. 😎et qui aperçoit l’expression «temps … » une quinzaine de fois dans la page contre cinq «heures supplémentaires» en viendra à la conclusion que les deux sont des synonymes de bon aloi . Pourtant les dictionnaires à l’esprit correctif mettent les locuteurs en garde. Le Multi le fait rapidement : «temps supplémentaire. Calque de ‘overtime’ pour ‘heures supplémentaires’ ». Usito, le dictionnaire rédigé à l’Université de Sherbrooke et consultable à distance, allonge la remarque : «L'emploi de temps supplémentaire est critiqué comme synonyme […] de heures supplémentaires». Pour sa part, Lionel Meney, comparatiste du français parlé de part en part de l’Atlantique, écrit : «faire des heures supplémentaires […] [calque de l’angl. overtime]». Les correcteurs du quotidien devraient voir si ces critiques sont justifiées.

Préposée aux bénéficiaires (2025)

2025.03.07. La légende de la photo indique : «… elle travaillait comme préposée aux bénéficiaires…» (Le Journal de Québec, 6 mars, p. 20). Deux formes fautives : les pensionnaires d’un CHLSD ne sont pas des bénéficiaires, mais plus justement des patients; et un ou une proposée ne peut l’être à quelqu’un, mais à quelque chose. Un simple relevé des exemples alignés dans les dictionnaires d’usage est révélateur à cet égard : préposé des douanes, préposée au vestiaire, … à la billetterie, … aux écritures. Les rédacteurs du quotidien auraient dû écrire tout simplement «… comme aide-soignante ». (Deux références sur le sujet : le site Carnet d’un linguiste / Lionel Meney et www.Asulf.org : L’Expression juste, 82, sept. 2020, p. 1).

 

Événement ? «(2025)

 2025.03.07. Le mot est long et il en prend large : c’est «événement»! Un manchette du Journal de Québec illustre l’observation : «Le PDG du fonds FTQ a payé 1750 $ pour un événement de Poilièvre» (7 mars, p. 28). Le Robert dit à propos du mot : « Ce qui arrive et qui a quelque importance pour l’homme ». La soirée ou la rencontre de financement était de toute évidence organisée et planifiée. Une remarque de l’Asulf va dans le même sens : «… « événement » est souvent utilisé à tort en français, ce mot désignant habituellement un fait marquant, historique. […] il n’est pas toujours facile de trouver un mot juste pour rendre cette notion, correspondant à event en anglais.» (https://asulf.org/evenement/). Mais le syntagme « activité de financement » existe, «réunion…» ou «assemblée…» aussi, termes qui ne masquent pas une planification préalable et qui sont moins «huppés» que le noble «événement»

Une élection générale ? (2025)

Le Bloc québécois vient de diffuser un communiqué à ses membres. On y lit : «… une élection générale est à nos portes et…» (8 mars). N’aurait-il pas été préférable d’écrire «…des élections générales …»? Le Grand Robert & Collins traduit l’expression «general election» par «élections générales». Les justifications sont rares, mais il s’en trouve. Un article d’une brochure de l’Office de la langue (1970) s’intitule Élections générales : General election et suit la définition : «Élections qui ont lieu en vue du renouvellement total d’une assemblée…». Paul Roux écrit de son côté : «Élection(s). Ce mot s’emploie le plus souvent au pluriel. On peut parler de l’élection du pape […] mais on écrira les ‘élections […] provinciales… » (Lexique des difficultés…; 2004). En somme, les auteurs du communiqué auraient dû écrire : «… des élections générales…».

 

Risquer ? de profiter (2025)

2025.03.09. Il est toujours amusant de se fourvoyer soi-même en reprochant à un locuteur d’avoir employé une forme jugée fautive. On lit dans le Devoir de fin de semaine cet extrait de Konrad Yakabuski à propos de la qualité du français du nouveau chef du PLC : « Ses adversaires […] risquent de profiter des lacunes de M. Carney dans la langue de Molière» ( 8-9 mars, p. B13). Risquer de profiter? Le premier verbe ne s’emploierait qu’avec des éléments fâcheux. C’est l’observation du Multi dictionnaire (2021) et de Jean Darbelnet (Dictionnaire des particularités; 1986). Il est vrai cependant que l’Office québécois de la langue accepte les jumelages «risquer et gagner, risquer et réussir) tout en proposant des solutions de rechange («risque de fonctionner: pourrait fonctionner; risquer de gagner : courir la chance de gagner). L’organisme s’aligne sans doute sur l’usage plutôt que sur les notes prescriptives.

 

Frapper ou heurter ? (2025)

 2025.03.10. On lit dans le Devoir : «… il ne roulait pas vite, sinon il m’aurait frappé» et «On ne peut dévier de sa trajectoire de marche sans risquer d’être heurté» (10 mars, p. B4). Dans la première, on devrait comprendre que l’automobiliste a donné un coup de poing ou une taloche; dans la seconde, le risque de heurt proviendrait d'un véhicule. Ce qui est tout à fait limpide. Des exemples tirés du Multi dictionnaire le confirme : « La voiture a heurté un piéton, la moto a heurté le trottoir...» . Et, en ce qui a trait au verbe « frapper », le Petit Robert propose les exemples suivants : Frapper qqn au visage, Frapper un enfant. L’automobiliste pourrait frapper un piéton, mais il devra sortir de sa voiture s'il veut le faire. Pour le heurter, il devra rester au volant. C’est dire que le verbe «heurter» s’imposait dans les deux passages relevés au départ.

Signature officielle: Donné à... (2025)

2025.03.12. La grande majorité des villes du Québec ont abandonné la façon, disons franglaise! de signer les avis publics. Beaupré semble tarder à adopter la façon française ou québécoise. On trouve dans le Journal de Québec daté du 11 mars deux avis dont la signature se déclinent ainsi : « Donné à Beaupré, ce 7 mars 2025 ».». La formule est une traduction littérale malhabile ou un calque de l’anglais « Given under my hand ».» . Le linguiste Jean Darbelnet (1904-1990), professeur ayant fait carrière à l’Université Laval, épingle la forme calquée et propose « Fait à … ». Il observe « … c’est la formule consacrée au bas d’un document que l’on signe » et il ajoute : « Ni ‘signé’, ni ‘donné’ ne conviennent dans ce contexte ». L’Association pour le soutien et l’usage de la langue française, dont je fais partie, propose depuis plus d’une décennie l’utilisation de l’expression française. De nos jours, les grandes villes du territoire le font. Aussi, Beaupré devrait voir s’il y a lieu d’adopter l’expression française.

Top gun (2025)

 2025.03.13. Les francophones du Québec sont enclavés dans un continent anglophone. C’est un immense défi que de persister à nommer les choses et les phénomènes nouveaux en français. Mais cela a l’avantage de forcer les locuteurs à demeurer vigilants et à tâcher, dans la mesure du possible, de remplacer les mots et expressions qui «suintent» du milieu environnant, des médias et des locuteurs. Le cinéma américain a fait briller l’expression «top gun», le ministre de la Santé l’a utilisée pour désigner le ou la cadre appelée à diriger l’agence nationale de la Santé. On ne pourra pas désigner la personne choisie par l’expression anglaise. Le Devoir écrit «Les gens ne verseraient pas de larmes pour la ‘top gun’…» (13 mars, 1e p.), N’aurait-on pas pu écrire «la surfemme», «la directrice d’élite», «la directrice en chef»… ? Mais il faut reconnaître que «top gun» a du punch!

Tournures: Être dans le champ (2025)

2025.03.14. Il faut savoir gré au titreur d’un journal d’indiquer légèrement qu’une expression n’est pas tout à fait française. Le Journal de Québec reproduit une citation du maire de Québec : «Le président [Trump] , […] est dans le champ. Le vrai problème, c’est les armes...» (14 mars, p. 13). L’auteur de l’article n’a rien noté d’incorrect. Mais le titreur a ajouté des guillemets et la manchette devient : « Trump est ‘dans le champ’». Pourquoi des guillemets? Ouvrons le Multi dictionnaire au mot «Champ». On y lit sous «Formes fautives» : « Être dans le champ. Impropriété pour 'commettre une erreur, être dans l’erreur'...». Faisons un pas de plus et consultons le recueil de chroniques de Paul Roux (3e éd., 2004) : «Champ (dans le). L’expression […] n’est pas française, c’est un calque de ‘in the field’…’». Merci au correcteur d’avoir signalé l’impropriété sans avoir l’air d’y toucher.

 

Avé César! (2025)

2025.03.15. La locution latine reproduite dans les pages roses du Larousse est : «Ave Caesar, morituri te salutant». Et on la traduit par : «Salut Empereur, ceux qui vont mourir te saluent». Le Soleil s’en inspire qui affiche la manchette : «Avé César! Le culte de Donald Trump» (15 mars). Selon le Larousse des difficultés et pièges du français, il faut distinguer un «Ave», c’est-à-dire la prière, et un «avé», le grain de chapelet. Le Petit Robert fait aussi part du sens «salut» de l’expression «Ave Maria» que les Québécois connaissent bien («Je vous salue Marie…). Peut-on rendre «Ave César» latin par «Avé César» comme le fait le Soleil? Un dictionnaire correctif publié il y a un demi-siècle, le Dournon, traduit la locution latine par «Salut, César, ceux qui vont mourir te saluent» . Mais personne n’avait osé écrire «Avé César» Le Soleil fait preuve d’originalité!

Historique ? (2025)

2025.03.01. On a tendance à qualifier d’ historique bien des faits qui ne le seront que dans quelques décennies. Le traducteur André Racic...